Notre collègue Jean Bouffin nous a quittés en Corse, où il résidait, le 23 mai 2025, à l’âge de 75 ans.
Jean est né en 1950 à Beni Saf ville côtière de la méditerranée proche d’Ain T’émouchent en Algérie. Fils unique d’un père enseignant et d’une mère assistante administrative. Commencée en Algérie jusqu’au BEPC, Jean termine sa scolarité secondaire à Nice après un rapatriement avec sa famille en 1965.
En 1971, Jean marqué par sa jeunesse en Afrique du Nord, se sentant attiré par l’outre-mer, fait le choix d’intégrer au Havre l’Institut des sciences et techniques d’outre-mer (Istom) dans la 62e promotion aux côtés de Jean Philippe Tonneau (ancien chercheur au Cirad, actuel secrétaire général de l’Adac) et de Gérard Antoine (actuel expert du commerce import-export des fruits tropicaux) qu’il retrouvera en Côte d’Ivoire.
En 1974, il effectue sa quatrième année d'Istom (couplée avec le service militaire) en qualité de VSN en Côte d’Ivoire au sein de l’institut de recherche sur les fruits et agrumes (Irfa) qui l’affecte sur sa station de l’Anguédédou dédiée aux recherches sur l’ananas. Durant un peu plus d’un an il s’initie, avec une volonté d’apprendre au milieu d’une équipe d’ingénieurs chercheurs, à l’agronomie appliquée à l’ananas et plus généralement à cette filière.
En 1975, à l’issue de son temps de VSN au cours duquel il a donné toute satisfaction, il obtient le diplôme d'ingénieur de l'Istom ; à ces deux titres, l’Irfa le recrute en remplacement de M. Bonnet comme responsable des parcelles pilotes de production et de démonstration de la station de l’Anguédédou.
Sur cette station du dispositif de recherches de l’Irfa en Côte d’Ivoire (4 stations) dirigé par Jean- Marie Charpentier, remplacé en 1982 par François Pointereau, Jean Bouffin exerce sa responsabilité d’agronome chef d’exploitation vitrine du savoir-faire de l’institut mais aussi de manière intégrée en appui aux nombreux chercheurs présents sur le site : Claude Teisson, Jean-Jo Lacoeuilhe, Jean-Louis Sarah, Chantal Loison, Martin Kéhé, Jean-Claude Combres, Pierre Frossard et Xavier Mourichon. Sa position de généraliste de terrain lui permet d’assurer le lien avec les organisations de planteurs d’ananas notamment avec Alain Guyot (ingénieur Irfa détaché à la Sodefel) et Gérard Antoine (collègue de promo de l’Istom) responsable d’une société d’appui à la gestion des exploitations fruitières en Côte d’Ivoire, la Sogefruit. Pendant 11 ans (1975-1986), Jean a su mettre en valeur les résultats expérimentaux de ses collègues, contribuer à la notoriété internationale de l’institut sur la filière ananas et générer des ressources propres pour l’Irfa au moyen des exportations de fruits frais produits sur la station. Son séjour en Côte d’Ivoire a été marqué par deux événements singuliers. L’un heureux : son mariage avec Marie-Noëlle, « Marino » pour les intimes (en la mairie d’Abidjan et en l’église de la mission catholique d’Adiopodoumé) avec laquelle il a eu deux garçons Loïc et Olivier ; l’autre tragique, à savoir un braquage à main armée lorsqu’il faisait la paye de ses collaborateurs ivoiriens avec fuite des voleurs avec la paye dans sa voiture personnelle.
Au-delà de ces événements, son parcours en Côte d’Ivoire a forgé la personnalité d’un homme à l’apparence parfois nonchalante, discret. C’était un « cérébral » dont chacune des décisions étaient murement réfléchie. Il était souvent consulté par les planteurs d’ananas impressionnés par ses parcelles pilotes qui ont servi de base au projet ivoirien de 100 000 tonnes/an d’ananas frais exportés.
En 1986, remplacé par Bernard Dole, Jean est affecté sur le dispositif Cirad-Irfa de la Réunion dirigé par Yves Bertin. Succédant à Claude Vuillaume, il est localisé sur les stations de Bassin Martin et Bassin Plat en qualité d’agronome chercheur sur les fruitiers tropicaux notamment l’ananas Victoria, le litchi, le manguier, les agrumes…
A la différence de la Côte d’Ivoire, il gérait des collections et des parcelles expérimentales au milieu et au service d’une équipe pluridisciplinaire constituée de Serge Quilici, Michel Grisoni, Eric Parisot, Bernard Aubert et Jean Jacques Baraër, détaché à la direction de la Semex. Le relais avec la profession réunionnaise était assuré par Daniel Ducelier, épaulé par quatre techniciens de la chambre d’agriculture.
Valorisant ses connaissances acquises en Côte d’Ivoire, Jean a su, dans le contexte réunionnais, perfectionner le système de culture de l’ananas victoria approprié par les agriculteurs locaux mais dont a aussi profité avec succès son collègue Robert Mallessard basé à l’Ile Maurice dans le cadre de la coopération française.
Son séjour à la Réunion l’a confronté à un nouvel environnement, le milieu insulaire français dans lequel les filières horticoles devaient trouver leur place aux côtés de la filière dominante, la canne à sucre. Très à l’aise avec l’ananas, il a réussi à maitriser l’essentiel des problématiques locales des espèces fruitières ligneuses ce qui parfois le freinait dans l’exercice de son métier d’agronome en donnant l’impression à sa hiérarchie d’être en retard. Ses acquis scientifiques et techniques lui ont permis de faire des publications dans la revue Fruits, de participer à des congrès avec communication notamment ceux de l’International society of citriculture (ISC).
Son expérience ultra marine l’a conduit à nouer des relations étroites avec Alain Pinon, agronome expert de l’ananas à l’Irfa et à faire des missions d’étude ou d’expertise en Australie, en Afrique du Sud, en Floride, en Israël, à l’ile Maurice.
En 1994, Jean est affecté par Jean-Pierre Gaillard, directeur du Cirad-Flhor (ex Irfa) sur la station de recherche agronomique Inra-Cirad de San Giuliano en Corse (dirigée par Roland Cottin) sur le poste libéré par Henri Vannière. En qualité d’agronome agrumes (principalement le clémentinier), la majorité de ses activités est tournée vers la vulgarisation et le transfert des connaissances vers les producteurs de clémentines en Corse notamment dans le cadre d’une structure relais, l’association de recherche et d’expérimentation sur fruits et légumes en Corse (Areflec). Dans cette nouvelle fonction pour lui, il avait pour mandat de rendre accessible et utilisable les résultats de recherche de ses collègues Pierre Brun, Christian Verniere, François Luro, Yann Froelicher, Camille Jacquemond, Isabelle Poggi mais aussi des résultats obtenus par la recherche agrumicole internationale. Avec le soutien de ses collègues de la station, Jean s’est investi sur une vaste enquête sur la qualité des clémentines corses. Principalement avec Dominique Agostini, il a contribué à élaborer un cahier des charges exigeant et rigoureux pour l’obtention d’une indication géographique protégée (IGP) pour la clémentine de Corse, reconnue officiellement en 2007, dont le symbole de fraicheur et de qualité est les feuilles vertes restant attachées au pédoncule de chaque clémentine mise en marché. Par ailleurs, il s’est investi dans le programme de sélection de nouvelles variétés tardives de clémentiniers dont la W9 très prometteuse en phase finale d’évaluation.
Son intégration au sein de la communauté des agrumiculteurs de Corse était un challenge que son humble talent de communicant a su atteindre. Ces mêmes professionnels reconnaissants étaient tous là pour le saluer une dernière fois en l’église Saint-André -de Biguglia le 26 mai 2025 lors de ses obsèques. Jean était tellement passionné par son métier d’écoute et de transfert de conseils et connaissances qu’il oubliait parfois d’informer la direction de la SRA de San Giuliano de ses initiatives dont faisait état la presse locale. A côté de sa passion pour l’agronomie appliquée aux productions fruitières, il était attaché aux valeurs familiales et s’adonnait dans ses moments de loisirs à la plaisanterie raffinée et aux sports de la pêche en mer.
Dans la communauté des anciens du Cirad, Jean Bouffin reste l’archétype de l’ingénieur-chercheur-développeur-généraliste membre d’une « tribu » d’agronomes très proches du terrain, en voie de disparition.
Amoureux de la Corse, chaleureux, profondément humain, il a choisi d’y rester après sa retraite prise en 2014 et d’y reposer définitivement au cimetière de Bevinco sur la commune de Biguglia.
L’Adac et ses amis anciens du Cirad adressent à sa mère, son épouse Marie-Noëlle, leurs deux fils Loïc et Olivier et leurs trois petits-enfants (Carla, Maxime, et Manon) leur sympathie, leur compassion et leurs condoléances.
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