Présentation d’ouvrage par Robert Schilling

 

l agronome et les systemes philippe jouveL’agronome et les systèmes

Approche systémique de l’exploitation agricole des zones tropicales et méditerranéennes

Philippe Jouve 

 

Les éditions du net
juillet 2016, 154 p.

 

 

 L’auteur part d’un constat : l’échec de bien des projets de développement rural serait dû à une connaissance insuffisante des réalités agraires, souvent très complexes, que ces projets se proposaient de modifier. L’ « approche système » répond à la nécessité de formuler un diagnostic global en préalable à toute intervention, prenant en compte les principaux niveaux d’organisation, emboîtés les uns dans les autres, de la production agricole prise au sens large : dans cet esprit sont analysés successivement les systèmes de culture ou d’élevage (la parcelle ou le troupeau), les systèmes de production (ensembles structurés de moyens de production : terre, travail, équipement) et les systèmes agraires (combinaisons de facteurs naturels, socioculturels, économiques et techniques mis en œuvre par une société en vue de satisfaire ses besoins). Cette démarche synthétique et pluridisciplinaire se propose, sans prétendre constituer une science autonome, de rompre avec la démarche trop exclusivement analytique, discipline par discipline ou plante par plante, qui prévaut généralement. Il s’agit de mieux appréhender la complexité du réel, à laquelle on ne peut répondre efficacement par une série de recettes normatives tirées de la boite à outils d’intervenants trop spécialisés, ou basées sur les résultats d’essais trop ponctuels. Seront ainsi à prendre en compte toute une série de facteurs externes : approvisionnement en intrants, commercialisation de produits, politiques agricoles et contexte international, la connaissance du milieu local étant le fruit d’un minutieux travail d’enquête et d’observation du terrain (lecture des paysages et décryptage des pratiques paysannes). Cette approche aboutit parfois à un investissement massif dans la modélisation quantitative, ce qui conduit l’auteur, citant son collègue Hutin (1982), à dénoncer « le pouvoir magique d’explication attribué à l’outil mathématique » et à s’inquiéter du « déséquilibre grandissant entre le temps passé sur le terrain et celui passé devant l’écran de l’ordinateur ». Les anciens du Cirad, familiers des milieux tropicaux, partageront cette inquiétude…

Le pouvoir de séduction intellectuelle de l’approche système est indéniable, mais l’auteur pose la question : quelle est son utilité pratique et quels bénéfices peut-on en attendre sur le plan de l’amélioration durable et rentable des modes d’exploitation du milieu, ce qui constitue tout de même la finalité de nos métiers ? La réponse n’est pas simple. Le principal argument en défense et illustration de cette approche semble être la compréhension et la réhabilitation du savoir-faire des paysans, parfois accusés d’être « rebelles au progrès » alors que les propositions qui leur sont faites son trop souvent fondées sur des objectifs et sur des transferts de technologies étrangères à leur culture et à leur intérêts tels qu’ils les ressentent. La rationalité interne des méthodes paysannes est rarement prise en compte. Nous citerons deux exemples de cette incompréhension :

- La pratique traditionnelle − jugée archaïque − des jachères longues pour maintenir la fertilité de sols, plutôt que le recours à la fertilisation minérale et aux cultures continues préconisés par les experts, conserve tout son intérêt pour le paysan lorsque la terre est abondante : la diffusion onéreuse de « thèmes intensifs » sera alors difficile (cas des projets de mise en valeur des terres neuves).

- Le semis échelonné de champs de mil en divers points du terroir, dépassant la force de travail que l’agriculteur pourra y consacrer jusqu’à la récolte, se justifie dans les zones à pluviosité faible et erratique car l’investissement en semences de mil n’est pas important − à la différence de l’arachide. Le déroulement imprévisible de la saison des pluies commandera par la suite de concentrer les efforts, au fur et à mesure de la campagne, sur les champs les plus prometteurs en abandonnant les autres.

La résistance des paysans au changement imposé de l’extérieur n’est donc pas aussi irrationnelle qu’il n’y paraît. Elle est souvent la manifestation légitime des sociétés concernées de préserver un ordre agraire où la réduction du risque est un impératif majeur et où les valeurs culturelles et identitaires, fondées sur des façons de faire et de vivre, ont également leur part. Il conviendrait de traduire ces considérations de principe en recommandations précises afin de modifier en conséquence les dispositifs d’expérimentation et de vulgarisation pour les rendre plus efficaces, l’approche système ne constituant pas une fin en soi. L’auteur déplore également la survalorisation de cette démarche de la part de ceux qui l’utilisent pour disqualifier les institutions de la recherche et du développement. Ils se voient appelés à plus de modestie et à « pas trop d’angélisme », la démarche étant complexe et semée d’embûches.


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